PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS, PRATICIEN HOSPITALIER, CHEF DE SERVICE DE CHIRURGIE PLASTIQUE ET COFONDATEUR DE LATTICE MÉDICAL

Vous êtes chef du service de chirurgie plastique de l’hôpital Roger Salengro du CHU de Lille, à la tête de l’une des plus grandes unités de ce type en France. Pourquoi avoir fait le choix de cette spécialité ?

J’ai fait mes études de médecine à la Faculté de médecine de Caen, où j’ai eu l’opportunité de rencontrer le Dr Daniel Labbé qui a fait naitre ma vocation pour la chirurgie. Cette rencontre m’a beaucoup inspiré, car il a beaucoup d’inventivité et axe sa pratique sur l’innovation chirurgicale.

Il m’a aussi appris que le milieu scientifique est parfois résistant à l’innovation, mais qu’il ne faut rien lâcher et je n’ai jamais oublié ce conseil.

J’ai ensuite découvert à Lille, notamment au contact du Pr.Véronique Martinot et du Pr. Pellerin la spécialité de chirurgie plastique reconstructrice et esthétique qui m’a passionné !

La chirurgie plastique est profondément ancrée sur l’image de soi, et permet d’intervenir à tous les stades de la vie. Mon quotidien, c’est intervenir pour corriger des fentes labiales et palatines sur des nouveau-nés, réaliser des reconstructions mammaires, accompagner des transitions de genre, intervenir sur des patients atteints de paralysies faciales ou encore des malformations cranio-faciales complexes,…

Notre métier a démarré au moment de la Première Guerre Mondiale où il a fallu réparer les « gueules cassées ». Nous avons hérité de ces techniques vieilles de plus d’un siècle, en les faisant évoluer au cours des décennies grâce à l’irruption de nouvelles technologies : réalité augmentée, impression 3D dans le domaine du tissue engineering, robots en soutien à la micro chirurgie,… Demain on ne parlera d’ailleurs plus de chirurgie « réparatrice » mais de chirurgie « régénératrice », et c’est très enthousiasmant de travailler dans cet objectif-là. 

Un article du Monde titrait en 2020 : « Pierre Guerreschi, chirurgien et start-upeur malgré lui ». Pourquoi une telle dénomination ?

En tant que chirurgien, nous sommes toujours à l’affût de nouvelles technologies et d’outils qui vont nous permettre d’améliorer le soin que nous apportons aux patients. Et nous sommes aussi en première ligne pour détecter leurs besoins encore non couverts. C’est sur ce champ qu’il m’intéresse d’investiguer afin d’imaginer, à partir des observations faites pendant ma pratique, des innovations permettant d’améliorer l’exercice de mon métier.

Tout a commencé en 2012 avec le projet qui deviendra la start-up connue aujourd’hui sous le nom de « Lattice Medical ». Je travaillais avec mon directeur de thèse, le Pr. Philippe Marchetti, et le Dr. Pierre-Marie Danzé en s’intéressant au sujet de la graisse, bien plus méconnu que la peau qui faisait l’objet de nombreuses recherches à l’époque. Nous avons eu l’envie de nous lancer sur ce sujet, avec en notre faveur un pressentiment qui nous a donné une petite longueur d’avance. Nous avons su anticiper que le moratoire interdisant tout transfert de graisse possible d’une partie du corps vers le sein allait bientôt être levé. Les études montraient en effet que les transferts de graisse vers le sein ne favorisaient pas l’apparition de cancer sur cet organe et que cette mesure de précaution allait bientôt cesser. Nous avons donc démarré nos travaux et rencontré rapidement Julien Payen qui travaillait alors au pôle Uptex, avec l’objectif qu’il nous aide à concevoir un support textile aidant à transférer de la graisse vers le sein. La suite, nous la connaissons tous !

Le deuxième projet entrepreneurial auquel je participe est dans un tout autre domaine : il s’agit de créer un outil d’aide à la décision pour les cliniciens qui utilisent la toxine botulique. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle les praticiens qui réalisent des injections de cette toxine auprès de patients atteints de paralysie faciale ont pour seule arme leur expérience. Il n’existe pas de mode d’emploi nous indiquant précisément où injecter le produit et en quelle quantité. Chaque praticien doit donc concevoir son schéma thérapeutique, démarrer les injections, contrôler l’impact et ajuster…

Tout cela est d’une part très anxiogène pour le patient qui réalise l’incertitude de son chirurgien et d’autre part très chronophage pour tous. En partenariat avec le Pr. Mohamed Daoudi et Esthèphe Arnaud, informaticiens, nous avons donc développé au sein du laboratoire Cristal un outil d’IA sur la reconnaissance faciale : en un clic, nous pouvons anticiper le résultat du schéma thérapeutique imaginé et l’ajuster avant même la première injection. C’est une vraie révolution dans l’exercice de notre métier, et cela pourra s’étendre à d’autres techniques d’injectables utilisées dans notre spécialité.

Quels liens entretenez-vous aujourd’hui avec le monde de l’entrepreneuriat ?

J’ai plusieurs casquettes au quotidien : je suis soignant, à la tête du service de chirurgie de l’hôpital Roger Salengro. J’exerce aussi des missions d’enseignement, notamment auprès d’internes et à l’Université de Lille auprès d’étudiants en médecine afin de leur faire découvrir ma spécialité.
Je travaille enfin dans le domaine de la recherche, notamment, au sein du laboratoire de biomatériaux et tissue engineering aux côtés des Pr. Nicolas Blanchemain et Jurgen Siepmann.

Je côtoie tous les jours des chirurgiens, des chercheurs et des entrepreneurs : chirurgiens et entrepreneurs ont des approches très similaires ; ils ont en commun d’être sensibles au concret et d’être très réactifs. Pour un chirurgien, se projeter dans l’entrepreneuriat est souvent plus facile que de se lancer dans une recherche académique. En tous cas personnellement je suis très à l’aise pour naviguer entre ces 3 mondes !

Mon dernier lien avec l’entrepreneuriat est aussi un lien très personnel, car ma femme est entrepreneure. Elle est vétérinaire et a monté son activité de toutes pièces en dotant son cabinet d’une spécialisation en ophtalmologie animale. Elle est maintenant à la tête d’une équipe de 4 salariés à temps plein – et pour l’anecdote, elle va d’ailleurs très prochainement venir s’installer sur le Parc Eurasanté !

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