DIRECTEUR DE RECHERCHE AU CNRS, CENTRE D’INFECTION ET D’IMMUNITÉ DE LILLE UMR9017 & U1019

En tant qu’acteur de la recherche, comment avez-vous contribué à créer des entreprises comme Innobiochips et X’ProChem ?

J’ai commencé à réfléchir à la valorisation de mes travaux très tôt, dès ma thèse de doctorat durant laquelle j’ai déposé mes premiers brevets. J’étais certainement encouragé dans cette démarche par l’environnement industriel ou s’est déroulée ma formation. Cela m’a permis de réaliser que la recherche fondamentale peut avoir très rapidement des retombées industrielles.

Cependant, il est important de souligner que je ne me vois pas comme un entrepreneur, mais comme un chercheur. Pour la création d’Innobiochips, ce sont Dr. Christophe Olivier et Dr. Vianney Souplet, à l’époque en post-doctorat et en thèse au laboratoire, qui sont venus me présenter leur projet de création d’entreprise. Je les ai soutenus sans avoir à aucun moment de rôle hiérarchique dans l’entreprise. Ce sont eux qui ont mené le projet à bien. Je crois que c’est la clé du succès avoir de bonnes idées, certes, mais surtout savoir s’entourer de porteurs de projets qui ont la capacité de les transformer en réalité. C’est leur motivation qui a été déterminante.

Cette expérience m’a fait comprendre que je pouvais, en tant que chercheur, contribuer à l’émergence d’entreprises sans pour autant avoir à quitter la recherche fondamentale à laquelle je suis très attaché.

Dans le cas d’X’ProChem, Dr. Reda Mhidia et Dr. Julien Dheur, également formés au laboratoire, ont également su saisir l’opportunité de transformer des résultats de la recherche en produits commercialisables. Cette deuxième expérience m’a conforté dans l’idée que le succès repose avant tout sur la capacité des porteurs de projets à valoriser l’idée initiale. C’est un travail d’équipe, et je n’aurais jamais pu le faire seul.

Vous insistez sur l’importance des porteurs de projets dans le succès de vos innovations. Quelles sont, selon vous, les compétences clés nécessaires à la réussite ?

Effectivement, pour moi, la valorisation d’une technologie ne se limite pas à l’idée ou à la découverte initiale. Ce qui est essentiel, c’est la capacité des porteurs à comprendre le marché et à traduire l’innovation en quelque chose de concret et d’utile. Je crois fermement que l’innovation est souvent moins une question de pure nouveauté technologique qu’une question de pertinence et de mise en oeuvre.

Une innovation peut être très sophistiquée, mais si les porteurs ne parviennent pas à la vendre, elle échoue. À l’inverse, une idée qui semble moins révolutionnaire peut connaître un succès immense si elle est portée par des personnes compétentes, capables de naviguer dans l’environnement commercial et industriel.

Je pense aussi que l’écoute est cruciale. Il faut savoir entendre les retours, que ce soit ceux des industriels ou d’autres chercheurs. Je me souviens, par exemple, d’une rencontre avec un industriel qui m’a fait réaliser que notre système de diagnostic initialement basé sur du verre était problématique parce que «le verre, ça casse». Ce commentaire simple nous a ramené à la réalité du marché et à ses contraintes, a changé notre approche et nous a conduit à développer un système en plastique jetable, beaucoup plus sûr pour les opérateurs. C’est ce type de retours qui fait toute la différence entre une bonne idée sur le papier et un produit commercialisable.

Vous avez évoqué l’importance de l’interdisciplinarité dans votre carrière. Pourquoi pensez-vous que c’est primordial pour innover ?

L’interdisciplinarité a toujours été un fil rouge dans mon parcours. J’ai débuté en chimie organique, avec un focus sur les stéroïdes, et lorsque je suis passé au domaine des peptides après mon doctorat, certains de mes collègues m’ont dit : « Ce n’est plus de la chimie ! »

Pourtant, c’est précisément en explorant ces nouvelles frontières que j’ai découvert des perspectives fascinantes. Pour moi, la science ne devrait pas être cloisonnée. C’est souvent aux croisements des disciplines que les grandes avancées se produisent.

Le monde scientifique a encore tendance à placer les chercheurs dans des cases : chimistes, biologistes, physiciens… Je pense que ce cloisonnement limite les découvertes. Il faut encourager la curiosité et l’ouverture d’esprit. Dans mon équipe, nous sommes régulièrement confrontés à des défis qui ne peuvent être résolus qu’en combinant des approches issues de plusieurs domaines. C’est aussi ce qui permet de répondre aux besoins complexes de l’industrie pharmaceutique ou cosmétique. En étant ouvert à d’autres disciplines, on peut développer des technologies plus innovantes et plus adaptées aux réalités du marché.

Je crois que l’avenir de la recherche repose sur cette capacité à décloisonner les disciplines. Cela permet non seulement de faire des découvertes inattendues, mais aussi de former des chercheurs plus flexibles, capables de s’adapter à des environnements changeants.

Comment gérez-vous l’équilibre entre la recherche fondamentale et la valorisation de vos découvertes ?

J’aime explorer des questions théoriques et faire avancer la science pour elle-même. Cependant, je crois aussi que, lorsque nous faisons une découverte qui peut avoir un impact industriel ou sociétal, il est naturel de chercher à la valoriser. Cela fait partie de notre rôle en tant que chercheurs.

Comme déjà évoqué, je n’ai jamais voulu endosser le rôle d’entrepreneur. Je préfère laisser ce travail à ceux qui ont la passion et les compétences pour le faire. Ce qui me motive, c’est la recherche en elle-même, d’explorer de nouvelles idées, et parfois de pouvoir donner à ces idées des applications. Mais je me sens plus exigeant aujourd’hui. Avec l’expérience, je suis plus sélectif dans les projets que j’amène vers une démarche de valorisation. Je veux m’assurer que les idées que je développe sont véritablement solides avant de les pousser vers une application industrielle.

Je pense aussi qu’il est important de rester patient. Certaines idées prennent des années avant de pouvoir être valorisées. Il ne faut pas céder à la tentation de commercialiser une innovation trop tôt. C’est un processus qui  demande réflexion et discussion. Mais lorsqu’une idée est vraiment bonne, les choses peuvent aller vite. J’aime cette tension entre la patience de la recherche et l’excitation de voir une découverte se transformer en une technologie utile.

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