Rencontre avec Dr Isabelle VAN SEUNINGEN, directrice de l’institut ONCOLille et de l’UMR CANTHER
Dr Isabelle VAN SEUNINGEN, PhD HDR, DR CNRS, est directrice de l’institut ONCOLille et de l’UMR CANTHER. Elle nous présente en quoi ses 2 fonctions sont complémentaires, dévoile les défis à relever pour ONCOLille. Elle s’exprime également sur la place des femmes en sciences et sur l’attrait des métiers de la recherche auprès des jeunes.
Quel est votre parcours ?
Je suis Docteur en Sciences et biochimiste de formation. J’ai effectué mon parcours universitaire à l’université de Lille 1 et j’ai obtenu mon doctorat en Sciences de la Vie et de la Santé, spécialité Biochimie en 1991. Je suis ensuite partie aux Etats-Unis comme chercheur post-doctoral pendant 4 ans, tout d’abord à l’Université du Maryland à Baltimore puis à l’université de Washington à Seattle où j’ai approfondi mes connaissances concernant la régulation de l’expression des gènes et les mécanismes de signalisation cellulaire.
A mon retour en France en 1996, j’ai réussi le concours chargé de recherche 2nde classe du CNRS et j’ai intégré l’unité 16 de l’Inserm où j’ai démarré ma carrière de chercheur. Je connaissais bien cette unité car j’y avais préparé mon DEA puis mon doctorat. Donc depuis le début de ma carrière, je travaille avec des médecins et des pharmaciens, j’ai donc cette sensibilité d’appliquer mes recherches fondamentales à la physiopathologie humaine.
« Je suis une spécialiste des mucines, de la régulation de l’expression des gènes (génétiques et épigénétiques) et des mécanismes de signalisation cellulaire liés aux processus de cancérogenèse et inflammatoires des épithéliums. »
Quelles sont les complémentarités de vos 2 fonctions ?
Au sein du laboratoire CANTHER, en tant que directrice, j’ai cette mission de porter et d’animer le projet scientifique de l’unité et de ses 5 équipes, centré sur la compréhension des mécanismes de résistance aux thérapies et de dormance tumorale dans différents types de tumeurs solides (poumon, pancréas, côlon, rein, prostate, sein, glioblastome, sarcomes, etc) et aussi dans les hémopathies malignes. J’ai aussi comme objectif de renforcer les équipes par le recrutement de chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs-techniciens, d’augmenter l’impact de nos publications, de mettre en place de nouvelles collaborations, de développer notre visibilité à l’international et les partenariats public-privé.
« Il s‘agit aussi de développer la recherche translationnelle par le développement de nouveaux modèles d’études innovants et d’assurer le transfert vers la clinique grâce à nos interactions avec les cliniciens, pathologistes et biologistes présents au sein des équipes. La proximité avec le CHU de Lille et le Centre Oscar Lambret est un atout précieux. »
Au sein de l’institut ONCOLille, je suis la directrice scientifique, j’ai donc ces mêmes missions d’animation scientifique avec une dimension supplémentaire, celle de l’interdisciplinarité.
« Je m’assure donc d’encourager et de développer les projets de recherche interdisciplinaire en cancérologie entre biologistes, chimistes, mathématiciens, physiciens, cliniciens, chercheurs en sciences humaines et sociales et économistes de la santé présents au sein des laboratoires ONCOLille que sont CANTHER, ONCOTHAI, PHYCELL, SCALAB, LPP, LEM et LIMMS. »
J’ai aussi comme objectif de renforcer les équipes par le recrutement de jeunes chercheurs de talents qui apporteront des nouvelles thématiques pas encore développées à Lille. Un autre objectif important et spécifique de notre institut est de développer une recherche fondamentale et pré-clinique d’excellence, grâce à des plateaux techniques de pointe (BioMEMS, organoïdes, chimie-biologie intégrative, métabolisme, intelligence artificielle, bio-informatique, etc) pour pouvoir ensuite assurer le transfert vers la clinique au bénéfice des patients atteints de cancer.
« Je dirais qu’au sein de Canther, j’arrive encore à faire de la Science car j’encadre toujours des doctorants et des chercheurs post-doctoraux et qu’au sein d’ONCOLille, j’ai une activité plus axée vers la politique scientifique et les orientations stratégiques à prendre pour développer l’institut et ses équipes et le rendre incontournable dans le paysage de la cancérologie lilloise, française et à plus long terme internationale. »
Quels sont vos prochains enjeux ?
« ONCOLille étant un acteur nouveau (créé fin 2020), mon premier gros défi, sera d’en faire un institut de recherche en cancérologie reconnu et incontournable. Ensuite ce sera de développer les partenariats public-privé, créer des start-ups issues des laboratoires, valoriser nos recherches. C’est là que nos liens avec EURASANTE jouent un rôle essentiel ! »
Dans ce cadre, l’obtention de labels nationaux tel que celui de « Site de Recherche Intégrée sur le Cancer » (SIRIC) et de contrats nationaux (INCa, ITMO Cancer, ANR, etc) et européens (ERC, Marie Curie) voire internationaux (NIH, NCI) est essentielle pour asseoir notre reconnaissance et notre visibilité internationale et développer notre attractivité.
Nous avons célébré en février dernier la journée internationale des femmes et des filles de science, quel sont, selon vous, les leviers pour attirer plus de femmes dans les métiers scientifiques ?
Je dois dire que dans les Sciences de la Vie, les femmes sont assez bien représentées (on atteint assez souvent la parité). C’est surtout dans ce qu’on appelle les « sciences dures » (mathématiques, physiques) que la présence des femmes est très faible (en moyenne inférieure à 20%). Là où l’on va observer de grandes disparités c’est dès que l’on montera dans la pyramide hiérarchique. Les femmes directrices de recherche et directrices d’unité comme moi sont rares. Comment changer les choses ? Je pense que cela doit se faire dès la petite enfance, dans l’éducation, où il faut sensibiliser les petites filles aux mêmes choses que les petits garçons. L’intégration de la parité dans beaucoup d’instances commence à faire bouger les choses et je pense que cela aura un effet bénéfique à terme sur les filles et leurs ambitions car elles auront des exemples et pourront se dire « eh bien oui c’est possible, j’y vais » !
« On voit les remous que provoquent la nomination d’une femme comme première ministre de notre gouvernement, il y a encore du travail en France pour que les hommes acceptent de voir des femmes aux mêmes niveaux de responsabilité qu’eux. »
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient devenir chercheur ?
Travailler, être rigoureux, lire, un chercheur puise la grande majorité de ses idées et de ses hypothèses dans la lecture et bien sûr dans l’expérimentation aussi, échanger avec son tuteur/sa tutrice, les chercheurs du laboratoire, les collaborateurs.
Ne pas hésiter à s’expatrier après la thèse de doctorat, l’expérience humaine et scientifique est inégalable, on en garde des souvenirs toute sa vie et parfois plus (un.e conjoint.e, des amis, des collègues), on apprend une langue, on découvre une nouvelle société et on ramène des idées et des savoir-faire nouveaux. Lorsqu’on décide de se lancer dans la carrière de chercheur, souvent frustrante (car ça n’avance pas toujours aussi vite que l’on voudrait), il faut prendre en compte que ce sera long, avec des hauts et des bas et beaucoup d’investissements et quelques sacrifices.
« Cela vaut le coup, car le métier de chercheur est formidable et tellement excitant, quoi de plus excitant que de faire une découverte si petite soit-elle, de la publier et la partager avec ses pairs et parfois de pouvoir l’appliquer en clinique ou de la transformer en invention, de participer à l’amélioration des connaissances et de notre société et enfin de partager cela avec le grand public. »
Pour les nouvelles générations ce qui est difficile c’est que ce métier, en tous les cas en France, n’est pas vraiment reconnu ni valorisé par le salaire et/ou les conditions de travail alors que nous sommes détenteurs du plus haut diplôme universitaire et plusieurs années d’expérience à l’étranger.