PROFESSEUR DE NEUROLOGIE AU CHU DE LILLE ET COFONDATRICE, INBRAIN PHARMA

Vous êtes aujourd’hui Professeur de neurologie au CHU de Lille. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie d’embrasser une carrière dans le domaine du soin et de la recherche ?

Tout a commencé au lycée, où j’ai eu la chance d’avoir un super professeur en biologie. Je me rappelle qu’il s’appelait M. Lambert, et qu’il aurait rêvé d’être chercheur. Il m’avait dit : « Si tu veux faire de la recherche, tu dois faire médecine ». 

C’est ainsi qu’une fois le Bac en poche, je me suis inscrite à l’Institut Catholique de Lille. J’ai de beaux souvenirs de cette époque où je me passionnais à lire l’actualité de la recherche sur les effets des antiviraux sur le VIH, et des espoirs incroyables que cela faisait naître.

J’ai ensuite découvert grâce à mes stages le monde de l’hôpital et du soin. Les rencontres que j’y ai faites m’ont passionnée. J’ai été éblouie par de grandes figures de la médecine qui savaient se montrer à la fois très bons pédagogues face aux étudiants que nous étions, et profondément humains face aux patients. Le Professeur Patrick Hautecoeur, aujourd’hui doyen de l’Institut Catholique de Lille, m’a particulièrement marquée. Il avait une façon incroyable d’enseigner tout en racontant l’Histoire de la médecine.
C’est grâce à lui que j’ai choisi dès ma 2ème année la neurologie. Et je n’ai jamais changé d’avis sur le souhait de m’investir et de dédier ma carrière à la recherche et à cette spécialité. Je me suis très vite intéressée à la maladie de Parkinson, que je trouvais passionnante : c’est une maladie complexe car elle engendre des troubles moteurs, cognitifs, comportementaux,…

C’est aussi une maladie longue avec une évolution sur une vingtaine d’années, ce qui laisse le temps de créer du lien avec les patients que l’on accompagne. J’ai ensuite poursuivi ma formation dans le service du Professeur Alain Destée. A l’époque, c’était le début des essais d’implantation d’électrodes dans le cerveau de patients.
On était au bloc tous les lundis, avec une formidable émulation de la recherche clinique sur le sujet de la stimulation cérébrale. C’est à cette époque que j’ai rencontré le futur Professeur David Devos, qui deviendra mon époux. Ensemble, nous avons travaillé pendant plus de 10 ans au chevet des patients. Mais nous intervenions à des stades très avancés de la maladie et nous cherchions un moyen pour intervenir plus en amont et ralentir son évolution.

En parallèle de votre carrière de médecin, de chercheur et de professeur, vous vous êtes lancée dans l’entrepreneuriat en co-fondant la start-up InBrain Pharma aux côtés de votre époux. Comment est née cette nouvelle aventure ?

J’ai entendu parler pour la première fois du concept de « brain infusion » dans des congrès scientifiques sans que cela d’ailleurs ne soit très concret. Mais un jour, je me suis retrouvée au chevet d’une patiente atteinte d’une forme rare de la maladie de Creutzfeldt- Jakob et à qui une pompe avait été installée pour une meilleure diffusion de son traitement. En en discutant avec les professeurs David Devos et Gustavo Touzet, nous avons eu l’idée d’utiliser une pompe pour instiller des molécules directement dans le système nerveux central.

Les médicaments absorbés par voie orale ont plusieurs inconvénients : une partie n’atteint pas la cible souhaitée et ils engendrent souvent des effets indésirables. Notre idée fondée sur la notion de « Brain infusion » était donc d’acheminer la dopamine, élément clé dans la régulation de la maladie de Parkinson, directement au coeur du cerveau. Une pompe est implantée sous la surface de l’abdomen et est reliée par un fin cathéter sous la peau jusqu’au cerveau. Cela permet de délivrer de manière précise et continue la bonne dose de dopamine tout en évitant les effets indésirables liés à sa présence dans la circulation sanguine. On était alors en 2010. Avec cette idée, nous étions convaincus (et nous le sommes toujours !) de l’efficacité possible de ce traitement. Nous étions surtout emplis d’un optimisme mêlé d’une grande naïveté, car cela a été le début d’un long chemin de croix !

Quelles difficultés, mais aussi quelles fiertés, sont nées de ce parcours entrepreneurial ?

La première difficulté est liée au financement. Aux USA, les start-ups de notre profil lèvent des millions dès leurs débuts. En France, les fonds d’investissement sont peu nombreux et l’obtention de fonds est compliquée.

On a parfois le sentiment qu’il faut déjà avoir fait la preuve de nos réussites pour espérer toucher une part du gâteau – ce qui est impossible lorsque l’on connait le coût de la recherche. Ensuite, le milieu hospitalo-universitaire français n’est pas coutumier de profils de médecins-chercheurs entrepreneurs. Parler d’argent est encore trop souvent tabou, tout comme l’est le fait d’établir des liens entre recherche publique et monde industriel. Mais comme le disait Churchill : « Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme ! ».

On conserve notre optimisme et la foi en nos recherches. Sans compter que l’on a la chance d’être accompagnés par des structures sur lesquelles nous pouvons compter : Eurasanté bien sûr, mais aussi BPI, la SATT Nord,…

Mes fiertés sont collectives, car c’est en équipe que nous vivons cette aventure. Quand on est à la tête d’une startup, on a parfois le sentiment que chaque mois va être le dernier tant les difficultés peuvent sembler insurmontables. Et puis finalement, on avance et on s’aperçoit que petit à petit on réussit à faire de belles choses, même avec des bouts de ficelle. Je suis très heureuse aussi de l’équipe que nous avons réussi à constituer, et que l’on voit passer à un niveau supérieur. Et enfin, j’ai une fille et j’ai donc une fierté particulière à lui donner l’exemple d’une maman qui s’investit pleinement dans ce qu’elle aime, quelle que soit les épreuves rencontrées.

Justement, vous êtes une entrepreneure au féminin. Quels conseils donneriez-vous aux femmes qui hésitent à se lancer dans une telle carrière ?

Je pense que les femmes ne sont pas plus bêtes que les hommes, mais elles ont trop souvent le syndrome de l’imposteur. Ça fait du bien de créer une start-up pour dépasser cela ! C’est très valorisant.

Je trouve que dans le contexte entrepreneurial, les femmes ont toute leur place. Elles ont souvent des qualités indéniables de rigueur et de savoir-faire. J’observe par exemple dans notre structure que mon époux, lui, ose. Moi, j’ai un caractère différent, mais j’ai des intuitions qu’il n’a pas. Et je remarque cette même qualité chez Véronique Foutel, une femme que nous avons recrutée pour exercer les fonctions de CEO d’Inbrain Pharma.

Aujourd’hui, je vois de plus en plus de femmes se lancer dans l’entrepreneuriat, et j’en suis très contente.

Si j’avais un seul conseil à leur donner, je dirais : « Lancez-vous et veillez à créer autour de vous une équipe pour faire naître l’émulation – c’est la clé ! ».

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